Actualités : Précocité, un cadeau empoisonné ?
Publiée le 01 mars 2011 dans la catégorie Archives
Intelligent ou intellectuellement précoce ?
On commence à parler d’enfant intellectuellement précoce lorsque celui-ci montre dans un certain nombre de domaines, des aptitudes nettement supérieures à celles des autres enfants de son âge. Ses capacités sont en général égales à celles de jeunes de 2 ou 3 ans leurs aînés et souvent plus. Mais c’est la mesure du QI, réalisée par des psychologues à travers des tests tels le WISC (Weschler Intelligence Scale for Children) ou autres tests du même type, qui va réellement déterminer la précocité intellectuelle d’un sujet. Ces tests mettent également en avant son type d’intelligence, car les divers travaux entrepris tendent à montrer que l’intelligence se présente sous de multiples dimensions (1).
Dans certains pays, un enfant sera reconnu comme intellectuellement précoce avec un quotient intellectuel de 120 (soit un à deux élèves par classe), d’autres montent la barre à 145 (cela ne fait plus qu’un pour mille). C’est donc le palier de 130 (soit environ 1 individu sur 40) qui, en règle générale, est retenu.
Qui sont ces enfants ?
Si la grande majorité de ces enfants ne rencontre pas de problème particulier et suit une scolarité brillante, on estime en revanche que plus d’un tiers vit mal sa précocité, certains révélant même différents troubles plus ou moins importants (troubles du comportement, de la personnalité…), entraînant souvent une situation d’échec scolaire, ce qui semble tout à fait paradoxal.
La relation aux autres
En récréation, il se montre incapable de jouer en équipe, de s’intégrer dans les jeux désordonnés des élèves de sa classe et révèle souvent une maladresse dans les activités physiques qui est surprenante lorsque, par ailleurs, on connaît ses capacités intellectuelles.
Mal à l’aise avec ceux de son âge, il recherche la compagnie des plus grands qu’il agace avec sa manière de parler, avec tout ce qu’il sait et qu’eux ne savent pas et avec lesquels il n’a aucun pôle d’intérêt en commun du fait de son jeune âge. Un adolescent n’a évidemment pas les mêmes sujets de conversation qu’un enfant de 10 ans, tout précoce soit-il ! Il se tourne alors vers les enfants plus jeunes, où enfin, il peut prendre la tête des jeux. Il organise, dirige à son idée. Si mener ces « petites troupes » l’amuse un moment, l’intérêt retombe très vite : il est « en manque ». Au final, il se sent bien mieux tout seul et s’isole pour rêver ou lire, car, outre ses difficultés de communication.
Les relations ne sont pas plus aisées avec les adultes : il a tendance à sans cesse prendre part à leurs conversations et l’exaspération prend vite le dessus. Et en classe, avoir un enfant intellectuellement précoce au milieu des autres, c’est souvent le cauchemar pour l’enseignant qui a déjà du mal à mener une classe où les écarts de niveau se sont considérablement accentués ces dernières années. Les efforts sont concentrés sur les plus faibles
Pour finir, le constat est le suivant : où qu’il soit, le jeune a le sentiment de ne pas être à sa place. De ce sentiment d'exclusion découle souvent un refus d’aller à l’école.
Quelles politiques éducatives pour ces jeunes ?
> Les pays asiatiques ont tendance à regrouper leurs EIP dans des écoles spécialisées.
> L’Allemagne et l’Espagne ont mis en place des systèmes de classes accélérées.
> L’Israël pratique un dépistage systématique dès l’âge de sept ans pour les repérer.
> Aux USA, les actions diffèrent selon les états : on trouve à la fois des établissements spécifiques pour EIP, d’autres proposant des programmes de renforcement plutôt qu’une accélération du cursus scolaire. Il existe aussi des écoles pour ceux qui se trouvent en échec scolaire.
> Le Canada anglophone considère la précocité comme une « anomalie » qui demande à être traitée au même titre que la dyslexie ou tout autre trouble que peut avoir un enfant. Des programmes individualisés ont été mis en place.
> Le Québec, dans la fin des années 80 avait créé des établissements pour enfants surdoués afin d’endiguer la « fuite » vers les établissements privés. Le choix aujourd’hui est plutôt de permettre à ces enfants d’intégrer prématurément l’école primaire et il n’existe pas de voie spécifique pour accueillir ces jeunes.
> Le Japon, lui opère sa sélection au vu des résultats obtenus par le jeune, grâce à ses efforts et son travail.
> Certains pays scandinaves, par refus d’établir une discrimination entre les élèves préfèrent ne prendre aucune mesure.
> En France, l'Education nationale reconnaît que l'école doit répondre aux besoins particuliers des EIP mais les moyens mis en oeuvre sont insuffisants. Pour les élèves brillants, quelques rares parcours scolaires adaptés sont mis en place, mais la plupart du temps, ces jeunes sont condamnés à prendre leur mal en patience et s’ennuyer tout au long de leur scolarité avec le sentiment de végéter. Pour les autres, un programme personnalisé de réussite éducative (PPRE) peut être proposé aux familles s'ils rencontrent des difficultés importantes.
Restent tous ceux, non dépistés comme précoces, qui rejoignent le groupe des enfants étiquetés « en difficulté », et dans lequel ils achèvent de perdre pied. Quel gâchis !
Une fois encore, le privé innove et propose des solutions adaptées...
Diverses formules ont été mises en place durant cette dernière décennie. Certains établissement intègrent ces jeunes dans des classes classiques, mais à petits effectifs, permettant aux enseignants de leur apporter à la fois le soutien qui leur est nécessaire, mais aussi l’attention supplémentaire qu’ils réclament.
D’autres font le choix de les accueillir au sein de classes spécifiques où ils suivent un cursus (parfois accéléré) mieux adapté à leurs capacités. Le programme plus étendu, plus fourni, sort du cadre officiel : il s’agit de répondre à cette soif de savoir, dont ces jeunes ont tant besoin et surtout, de faire en sorte qu’ils conservent tout leur intérêt aux études.
Si les regroupements en classes spécifiques apportent dans un premier temps un réel mieux-être à tous ces enfants qui ont enfin le sentiment de ne plus être des « cas à part », il ne faut pas perdre de vue qu’il leur faudra un jour prendre leur place dans la société. Or, on le sait, c’est justement le problème d’adaptation sociale qui domine chez ces jeunes. Par conséquent, la scolarisation en classe spécifique ne peut revêtir qu’un caractère temporaire, le temps que le jeune reprenne confiance en lui et accepte sa différence, non pas comme un handicap, mais comme un atout à exploiter au mieux.
Un enfant qui vit bien sa différence (quelle qu’elle soit), a toutes les chances de devenir un adulte épanoui. Quelles sont celles, en revanche, d’un jeune qui aborde la dure période de l’adolescence avec sur les épaules, le poids de cette précocité qu’il vit comme un handicap ? S'il passe sa scolarité « hors-jeu », quel adulte deviendra t-il ? N’est-il pas grand temps de se pencher sérieusement sur la souffrance de ces jeunes…
Caroline Proust
(1) A lire : « Mon intelligence vaut la tienne ! » de Jacques Belleau aux éditions FABERT
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