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Le point de vue de Gabriel Langouët : L’enseignement public et l’enseignement privé sous contrat (Janvier 2010)

Un colloque scientifique de haut niveau vient de se tenir à Amiens les 10 et 11 décembre 2009 : « Etat et enseignement privé. A propos des cinquante ans de la loi Debré ». Il a réuni de nombreux chercheurs, jeunes et moins jeunes, dont certains avaient déjà participé à un autre colloque, tenu d […]

Le point de vue de Gabriel Langouët : L’enseignement public et l’enseignement privé sous contrat (Janvier 2010)

Publiée le 01 mars 2010 dans la catégorie Archives


Un colloque scientifique de haut niveau vient de se tenir à Amiens les 10 et 11 décembre 2009 : « Etat et enseignement privé. A propos des cinquante ans de la loi Debré ». Il a réuni de nombreux chercheurs, jeunes et moins jeunes, dont certains avaient déjà participé à un autre colloque, tenu dix ans plus tôt dans cette même ville. Mais, de surcroît, il réunissait de nombreux grands témoins éminents de toute cette période de conflits et de pacification des conflits. Ces deux journées ont constitué un moment fort de réflexion à propos de notre système éducatif et de ses spécificités « à la française ». Les actes en seront prochainement publiés : je pense qu’ils mériteront l’attention de tous.
J’ai moi-même participé à ce colloque et présenté une communication - « État des lieux de l’enseignement privé sous contrat en France aujourd’hui » - qui vise à montrer l’évolution, et surtout la stabilité des parts respectives du public et du privé sous contrat au cours des 50 dernières années. Elle figurera bien évidemment dans les actes, mais il m’a semblé utile, en avant-première, d’en communiquer ici les principaux éléments de conclusion.

« La loi Debré a été promulguée voilà juste 50 ans, après de fortes contestations et oppositions, populaires et parlementaires ; elle est aujourd’hui considérée comme une loi pacificatrice qui, en favorisant la mise en place d’un service privé d’enseignement public correspondant aux attentes d’un certain nombre de familles, et respectueux des prérogatives de l’Etat en matière d’éducation, et en particulier des programmes nationaux. En 1977, la loi Guermeur a brutalement et dangereusement, rouvert le débat et ranimé la guerre scolaire, montrant combien, dans ce domaine, l’équilibre reste fragile. Après de longues discussions, le projet Savary (1984), pourtant plutôt consensuel, a abouti à un échec, sans doute à attribuer à la conjonction d’intransigeances émanant des deux camps, conduisant à une crise politique profonde ; mais les « mesures simples et pratiques » proposées par J.-P. Chevènement ont permis d’aboutir à un nouveau consensus, somme toute assez proche de celui de 1959, et adapté à la situation nouvelle liée à la décentralisation. 1994, en pleine période de cohabitation, voit s’ouvrir une nouvelle crise, qui n’aboutira pas mais confirme combien la paix scolaire reste fragile.

Entre les deux secteurs, un équilibre des influences s’est incontestablement installé au niveau national (des différences régionales fortes perdurent), notamment en ce qui concerne le premier et le second degrés : dans le premier, à une baisse assez importante de la part du privé durant la période De Gaulle Pompidou (de 16,4 à 14 %) succède une longue période de stabilité durant laquelle, de 1973/74 à 2005/06, la part du privé se tient entre 13,8 et 14 % ; dans le second, considéré globalement, un même mouvement est observé avec une baisse durant la première période (de 26,9 à 19,8 %), puis une stabilité assez forte (20 à 21 % ou un peu au-delà). Les variations selon les cycles sont un peu plus complexes : la part du privé diminue lors de la première période et de l’explosion scolaire, mais tend à progresser légèrement ensuite, tandis que, dans le second cycle général et technologique, à une relative stagnation durant la première période (23 ou un peu plus de 23 %), succède une longue période de légère diminution (de 23 à un peu moins de 21 %) ; la diminution de la part des seconds cycles professionnels est très forte durant la première période  (de 33,6 à 24,3 %) , et assez faible au cours des suivantes (22,5 % en 2006/07). Concernant les CPGE et les STS, les fluctuations peuvent paraître plus importantes (et plus difficiles à analyser) : elles montrent probablement une capacité d’adaptation plus rapide du privé à l’évolution des demandes de formation ; mais elles portent sur des effectifs relativement faibles et exercent une faible influence quant à la détermination des poids respectifs des deux secteurs.
 
Au total, tant dans le premier degré que dans le second, cette période a très vite abouti à une forte stabilité des fréquentations globales des deux secteurs de scolarisation : environ un élève sur 6 en privé dans le primaire et un sur 5 dans le secondaire. Mais la vision est différente si l’on examine les parcours scolaires des élèves, du début de l’élémentaire à la fin du secondaire : vers 1995/96 , sur 100 élèves, près de 59 avaient fait un parcours  « tout public » et entre 6 et 7 un parcours « tout privé », tandis que près de 35 avaient utilisé les deux secteurs. Et elle est encore plus contrastée si l’on regarde les comportements des familles pour l’ensemble d’une fratrie : à la même date, sur 100 familles, un peu plus de 51 n’utilisaient que le public tandis que moins de 4 n’utilisaient que le privé ; et près de 45 avaient utilisé les deux secteurs. Et l’hypothèse la plus vraisemblable est que le « zapping » a continué de croître. C’est dire si l’attachement des familles à la présence des deux secteurs est fréquent et fort, comme l’ont notamment montré les manifestations de 1984 et celles de 1994.

Au cours de ces années, au moins aux yeux des usagers, les complémentarités des deux secteurs n’ont cessé de croître : d’une certaine façon, l’enseignement privé sous contrat nous a longtemps préservé d’un enseignement privé mercantile qui, cependant, continue de plus en plus de nous menacer et de menacer l’école, à travers le soutien scolaire et, notamment, ses offres commerciales. Cet équilibre fragile, durement acquis, semble un rempart contre ceux qui voudraient faire aussi de l’éducation un champ de concurrence et un marché.

Enfin, parce que le dernier conflit scolaire » remonte à 1994 (15 ans déjà !) nous avons eu tendance à croire que la guerre scolaire était définitivement derrière nous. Je crains qu’elle ne soit devant, lorsque je pense au discours présidentiel de Latran ou, plus récemment, au vote de la loi Carle : la prudence et la vigilance s’imposent à tous ceux qui pensent que l’éducation, comme la santé par exemple, n’est pas un bien de consommation ordinaire. »

En introduction, Bruno Poucet, professeur en sciences de l’éducation à l’Université de Picardie Jules Verne et organisateur de ce colloque, a présenté un panorama exemplaire de ces cinq décennies, de la genèse de la loi Debré en 1959 à la période actuelle. Il a appuyé son propos sur un livre remarquable qu’il vient de publier chez Fabert . Dans l’attente de la parution des actes de ce colloque, j’en conseille très vivement et très chaleureusement la lecture.

GABRIEL LANGOUËT
 

 

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